Pauvres de nous

Actions sociales à Namur hier et aujourd’hui

« Pauvres de nous » : trois mots-couperets qui confèrent une valeur éminemment collective à la question de la pauvreté. L’usage introspectif du « nous » remplace ici expressément l’usage plus fréquent et confortable du « ils ».

Geremek et Castel ont posé le même constat en d’autres termes : la pauvreté n’est pas un état naturel ou évident mais bien le produit d’un rapport social. Toute communauté humaine est responsable de la définition de ses propres marges et de la prise en considération de ceux qui y sont relégués à court ou long terme. La « pauvreté » varie selon les contextes ; elle constitue, à ce titre, un objet d’histoire particulièrement révélateur des cadres mentaux et organisationnels d’une société.

C’est la principale raison qui a amené le département histoire de l’Université de Namur à  s’investir dans un tel projet d’exposition. Pendant deux ans, une quinzaine d’étudiants de troisième année ont exploré les archives des hospices et institutions de bienfaisance namurois du XIXème siècle. Ils y ont dénombré les populations, ont interrogé les classifications des bénéficiaires (enfants trouvés et abandonnés, vieillards, malades, handicapés…), ont tenté de percevoir le quotidien dans ces murs et les éventuelles perspectives de sortie, voire d’ascension… Leurs travaux ont permis de  mieux approcher ce siècle où le paupérisme urbain inspire à la fois pitié et crainte, préoccupe les élites dont les réactions sont mues par la philanthropie, la charité chrétienne ou la quête de l’ordre public.

Certes, les temps ont changé : la bienfaisance s’est notamment émancipée du carcan religieux ou de conditions d’admission marquées du sceau de l’arbitraire. Pourtant, certains panneaux et documents repris dans cette exposition posent, au-delà des siècles, des questions d’une cinglante actualité. Mise à l’honneur de la valeur-travail, responsabilité individuelle des personnes marginalisées, priorités accordées en fonction de l’origine géographique, autant de pratiques qui ont décidément la peau dure.

Aujourd’hui, des discours dominants tendent à réduire la question de la pauvreté à des comportements et valeurs individuels : ne nous berce-t-on pas dans l’illusion qu’une médiatique campagne de solidarité pourrait améliorer la situation d’enfants précarisés ? Un récent débat télévisé ne s’est-il pas permis de prescrire aux parents chômeurs la manière dont il convient de transmettre le goût de l’effort à leur progéniture ?

Dans ce flot de discours simplistes, le recul historique ne peut qu’être instructif, voire éclairant.

 

 

Anne Roekens

Professeure - Département d’histoire
Université de Namur