Pauvres de nous

Actions sociales à Namur hier et aujourd’hui

Pauvres de nous ! Au fil de l'histoire récente de l'humanité, le constat est implacable. La pauvreté et son corollaire la précarité font partie intégrante de nos sociétés. Ce qui frappe, c'est la permanence du phénomène et de ses manifestations. Les documents de toute époque font part des mêmes situations. La société du temps tente d'adapter les institutions qui prennent en charge la population  en difficulté en fonction de son modèle culturel propre. Faute de pouvoir assurer une vie digne à chacun, les individus prennent leur relais. Les parents accueillent leurs proches en détresse. Les passants donnent une pièce aux mendiants. Les plus riches n'hésitent pas eux-mêmes à fonder un institut destiné à l'accueil de catégories nécessitant une aide spécifique.

Namur ne déroge pas à ces constats. Depuis que des sources la documentent, la population précarisée reçoit le secours chrétien enseigné par la religion. De manière parfois ambiguë, celui-ci se double, surtout en période de crise, d'un contrôle accru. Les pauvres ont le droit de l'être si les malheurs observables de la vie les y contraignent. Les autres et, notamment, les étrangers à la ville, dont on ne connaît rien, sont parfois perçus comme une menace et comme de paresseux profiteurs de ressources que la "morale" du temps leur interdit.

La spécificité namuroise au Moyen Âge et à la période moderne, c'est l'emprise principale des autorités publiques sur les institutions de secours. Les principaux hôpitaux, asiles pour pauvres ou pour malades de toute sorte, comme les Tables des pauvres, qui assurent des distributions, sont contrôlés par le Magistrat urbain (le maire et les échevins) et les bourgmestres de la ville en charge des finances. Le Grand Hôpital et la léproserie des Grands Malades sont gérés par des confréries laïques, puis, depuis la fin du XVIe siècle, par du personnel salarié. Le soin des âmes y est cependant confié à des prêtres à demeure ou de passage. Toutefois, la charité privée et religieuse n'est pas absente du terrain namurois. Les nombreux dons et la présence de communautés hospitalières en attestent.

Après la Révolution française, les biens et les bâtiments des institutions abolies sont transmis à de nouvelles structures laïques instaurées dès la fin du XVIIIe siècle. Au siècle suivant, celles-ci font de plus en plus appel à des ordres de religieuses créés à Namur. Celles-ci sont recrutées par les autorités pour assister les malades, les pauvres et les orphelins.

Les progrès de la médecine aidant, le besoin de structures spécifiques de soins se fait jour. La spécialisation et la prise en charge de plus en plus importante des pathologies nourrit l'essor de nouvelles institutions, hôpitaux généraux ou spécialisés de soins. Parallèlement, au fil du XXe siècle, la laïcisation du personnel va croissante. Ce phénomène trouve son origine dans le développement de la formation spécialisée du personnel infirmier et dans le déclin progressif de la vocation religieuse.

En 1925, Bureaux de bienfaisance et Hospices civils fusionnent au sein des Commissions d'assistance publique. Celles-ci cèdent la place en 1977 aux Centres publics d'aide, puis d'action sociale. La société évolue, la mondialisation progressive entraîne des déplacements de plus en plus lointains de populations précarisées. Namur accueille davantage de personnes issues de l'immigration qui, souvent, ont tout laissé derrière elles et requièrent une aide d'urgence puis à long terme. Les symptômes de marginalité demeurent. Seule leur échelle évolue en raison de la taille croissante des institutions et des populations mises sous tension par les bouleversements sociaux et les revers de médaille de l'individualisme triomphant. Les failles de l'action sociale publique sont suppléées tant bien que mal par la solidarité privée qui demeure très active. Des institutions et des individus poursuivent leur action sur le terrain. Les organismes publics en bénéficient régulièrement sous la forme de legs ou de fondations.

L'exposition Pauvres de Nous. Actions sociales à Namur hier et aujourd'hui est l'occasion de jeter un regard rétrospectif sur la précarité sociale et sur les politiques menées pour y parer depuis le Moyen Âge. Au départ de quelques documents particuliers, parfois d'apparence anodine, elle met en lumière un grand nombre de manifestations de pauvreté et les tentatives d'y apporter des solutions. Elle a aussi pour ambition de susciter la réflexion par un effort de "prise de hauteur" dont le 40e anniversaire du vote de la loi organique des CPAS offre l'occasion rêvée.

 

 Emmanuel Bodart

Commissaire d’exposition
Archives de l’État à Namur