Pauvres de nous

Actions sociales à Namur hier et aujourd’hui

Au XVIème siècle, dans de nombreuses régions européennes, des mesures répressives se multiplient vis-à-vis de la mendicité et du vagabondage. La présence de pauvres – particulièrement visible en ville –  apparaît alors comme une menace vis-à-vis de l’ordre public. Désormais, il conviendra d’encadrer et de contrôler cette population potentiellement « dangereuse » (notamment par l’enfermement ou la mise au travail).

Parallèlement au phénomène de criminalisation de la pauvreté, subsiste la logique de charité et d’assistance qui vient au secours des pauvres jugés légitimes – c’est-à-dire des personnes qui sont reconnues comme effectivement incapables de subvenir aux besoins de leur famille –. À ce critère de pauvreté avéré s’ajoute celui du domicile dans la mesure où l’assistance publique est organisée à l’échelle locale : à Namur, ne sont secourus que les indigents de la commune. Un double contrôle se met ainsi en place.

En 1848, la demande d’admission à l’hôpital de Pierre Bialmont est suivie d’une visite à domicile. Dans le rapport qui en est fait, il est précisé que l’intéressé est étranger et mendiant.

Dans une logique de sélection des bénéficiaires, le bureau de bienfaisance de Namur (qui, institué au début du XIXème siècle, prend en charge l’assistance à domicile) fait dresser deux listes de pauvres : la « liste générale des indigents » ouvre l’accès à une assistance médicale et au catéchisme des enfants (à l’école dominicale), tandis que la « liste de secours » donne droit au pain hebdomadaire. À partir de 1869, les secours en nature se diversifient : des distributions de denrées sont organisées selon les nécessités et sont accompagnées d’une constitution de listes des bénéficiaires. En outre, des secours réguliers en argent sont accordés, à la fin du siècle, aux « indigents de 1ère classe » que sont les vieillards, veuves, infirmes et malades….

Une certaine hiérarchisation des pauvres est ainsi édifiée, sur la base de contrôles réguliers (en ce qui concerne, notamment la vérification du domicile des indigents). En 1847, le bureau de bienfaisance en vient d’ailleurs à soupçonner la présence dans les listes paroissiales d’indigents étrangers à la ville ou de personnes inscrites dans deux paroisses. S’ensuit la décision unilatérale de diminuer de 10%  le nombre total d’indigents inscrits. Il reste alors aux paroisses à identifier les familles à radier…

Aux XXème et XXIème siècles, les logiques d’enquête et de chasse à la fraude persistent à l’égard des allocataires sociaux. Le mémoire d’Axelle Bertrand réalisé en 1954 montre combien les contrôles alors réalisés par des assistants sociaux de la CAP sont teintés de jugements de la valeur, en particulier vis-à-vis de la moralité des mères célibataires.

Depuis toujours les pauvres sont contrôlés.

« La mendicité sera défendue sur tout le territoire de l’empire. » (Décret impérial, 1808)

« Tous les six mois, l’Assistante sociale revoit la famille (qui reçoit des secours en espèces), afin de vérifier si la situation est encore identique, et ainsi essayer d’éviter la fraude. »

« Dans les maisons "à quartiers", ce qui constitue un danger pour les femmes seules, même ayant des enfants, ce sont les voisins de palier ou autres locataires de l’immeuble vivant seuls eux aussi ; la tentation est très forte de ne former qu’un ménage tout en sauvant encore plus ou moins les apparences. Nous avons vu deux fois le cas : une femme dont le mari et en prison et une autre séparée de son époux, qui lui vit carrément en concubinage. Ces deux femmes disent toujours avec un petit sourire : c’est mon voisin, savez-vous ; il est venu dire bonjour aux enfants… ».

« (Le cas de Julienne A.) mérite d’être expliqué, car c’est un exemple de mère célibataire qui rachète sa faute, ses fautes … puisqu’elle a deux bébés… en les soignant magnifiquement. (…) Elle bénéficie donc des secours complets de l’Assistance Publique, mais en plus, elle tricote chez elle pour toutes les personnes qui veulent bien lui confier du travail. Ses tricots sont faits très soigneusement et rapidement, car elle ne craint pas de veiller tard pour y travailler. La C.A.P. ferme les yeux sur les bénéfices assez maigres que ce travail lui rapporte, son courage méritant d’être récompensé. Sa conduite actuelle semble d’ailleurs irréprochable. »

(Mémoire d’Axelle Bertrand, Ecole sociale de Namur, 1954) 

Aujourd’hui c’est presque pareil…

Les travailleurs sociaux qui ne parviennent pas à rencontrer la personne aidée, les rapports demandés à l’auditorat du travail, les dénonciations, anonymes ou pas, tout cela résonne dans les rapports sociaux et les débats des conseillers de l’action sociale avant de prendre position.